Partout la rumeur gronde,
depuis quelques semaines l’île marche.
Personne ne sait quand cela a commencé,
on dit que l’île n’est plus ravitaillée en pétrole,
on dit que l’île a été abandonnée,
on dit et on marche.
Les avions ne décollent plus,
l’air s’est désempli de bruits :
les moteurs se sont tus et les gens se parlent.
C’est la seule chose que je comprends : le bruit des pas et des mots, le bruit des pas et des mots, la lenteur du mouvement des nuages d’ici.
J’attends là avec les autres dans la pagaille humide de l’instant.
L’aéroport dans ses langes de modernité ressemble désormais à un vestige ; en si peu de jours le voilà ruine.
Certains s’excitent et tempêtent et gesticulent : on cherche un responsable tandis que des femmes poursuivent inlassablement la confection de colliers de fleurs – ne savent-elles rien ? Pourtant plus personne n’arrive ; elles chantent et rient , n’ont-elles jamais pris l’avion ?
Auteur/autrice : silanxieuse
Navigation
De l’endroit où je suis, il me semble que la terre elle-même commence à bouger. La chaleur m’assomme et au-dessus de l’eau, cette vapeur propre aux mirages se propage. Le cri est unanime : « La terre bouge ! ». Je pensais que c’était les nuages. Mais la terre avance, non, elle navigue à une vitesse à peine perceptible, à la vitesse d’un nuage exotique. Le paysage avance indéniablement sur la mer. Où va-t-il ?
On dit maintenant sans trembler que c’est l’Afrique sans drapeau qui a décidé, on dit que la terre aimante, à nouveau vénérée, attire à elle les bouts du monde, que l’île va rejoindre d’autres îles et qu’elles vont se ressouder. On dit encore que la navigation ne fait que commencer. Je me sens moins seule sur cette île. Il me semble que la terre se rapproche d’une autre terre et que la rumeur s’amplifie. Il me semble entendre des cris de joie venant des boutres revenues de par-delà la mer ; il me semble qu’une surprise nous y attend aussi lumineuse que le soleil qui envahit l’atmosphère, aussi puissante que le souffle du vent qui bat sur la colline. C’est un vent fort qui souffle en tous sens et qui n’est pas pressé de nous faire arriver : il évente et régénère ce que nous croyions perdu.
Si je savais peindre
Si je savais peindre
je dessinerais d’abord
un soleil d’or
dans tes yeux
qui gommerait
tes sourcils sombres,
acides sur le monde
Je dessinerais aussi la grâce
de l’onde, de l’ombre de ton désir
sur le mien
et puis sa vibration
Je dessinerais encore
un alphabet du corps
qu’on pourrait lire quand on s’endort
Je dessinerais en clair
l’interstice de la matière
cette farandole de poussières
qui circule dans l’air
et fait de nous des êtres de chair
Je dessinerais peut être
la quête des âmes muettes
J’aimerais aussi donner des contours au mystère,
une forme plus familière
pour qu’il me serve d’amer
Peut être parviendrais-je
à faire un croquis
d’un esprit qui réfléchit?
Si je savais je dessinerais aussi tout cela
les choses qui comptent et qu’on ne voit pas
l’invisible figure humaine
passagère de ses états
le moment du doute, de la paix, de la peine, de la joie
tous ces moments qui comptent
et qu’on ne voit pas.
Toujours en moi
Toujours en moi, vagabonde
la Beauté du monde
m’extirpe de ma frontière
me tire à la route qui s’éclaire
étire ma curiosité clandestine
et mon âme enfantine.
Mon rêve d’or
Mon rêve d’or :
une caravane d’espoirs
en marche
au soleil de la vie nomade
qui glisserait de villages en villages
pour agrandir l’espace ;
folie douce
d’une vraie vie
de lionne
au rythme de l’errance
d’une danse
qui guérirait mon âme
de s’être avilie.
Parfois l’amour s’endort
Parfois l’amour s’endort
au port
Rassasié d’un quai,
saura-t-il repartir
pour de plus vastes mers ?
Tu es mon île
Tu es mon île
ma base et mon sommet
l’endroit hautement sensible
qui me ceint
qui me sied
l’amer d’amour
qui me guide, qui m’arrime
à l’aventure d’une vie
et dans cet espace si incertain
l’ivresse
d’une nouvelle mer à franchir.
Dans ce monde qui glisse
Dans ce monde qui glisse
aux portes de l’Enfer
– QR cerbère –
je cherche l’averse qui dissoudra
cette chanson de geste
barrière
à une humanité toute passagère
du système solaire.
Étrangère au dogme sanitaire,
je rêve – désir élémentaire –
de vivre libre en paix sur cette sphère,
douce chimère
que ne pourra soigner Pfizer.
Je préfère vénérer Démeter
dont nous sommes tous solidaires
qui me rappelle
que chaque saison amère de la Terre
porte en elle un virus salutaire
pour cultiver notre beauté réfractaire
Avant que de retourner à la poussière
Comme l’embrun à la mer.
Chacune
Chacune une bribe
chacune une scribe
d’une autre géographie
arpenteuses d’hors
– pionnières –
d’une nouvelle frontière
chacune la brique
d’un nouvel imaginaire.
Les pieds dans l’eau claire
Les pieds dans l’eau claire
Tu me troubles
Avec pudeur
Avec stupeur
Avec candeur
Tu me troubles
Ma curiosité intacte
de ta forme étrangère
ta pupille bleue qui m’enserre
Désir élémentaire.