Prologue

Monsieur Mia Couto, je suis votre fille. La fille d’un continent qui n’existe pas encore et dont le drapeau n’est pas encore trouvé – une fille non née si j’ose dire – mais qui naît chaque jour un peu plus sur les confins d’une certaine terre oubliée et pourtant immémoriale. Que ces mots vous soient traduits ou qu’ils s’ensevelissent dans la terre, cela est égal.

La narratrice

# 1

Partout la rumeur gronde,
depuis quelques semaines l’île marche.
Personne ne sait quand cela a commencé,
on dit que l’île n’est plus ravitaillée en pétrole,
on dit que l’île a été abandonnée,
on dit et on marche.
Les avions ne décollent plus,
l’air s’est désempli de bruits :
les moteurs se sont tus et les gens se parlent.
C’est la seule chose que je comprends : le bruit des pas et des mots, le bruit des pas et des mots, la lenteur du mouvement des nuages d’ici.
J’attends là avec les autres dans la pagaille humide de l’instant.
L’aéroport dans ses langes de modernité ressemble désormais à un vestige ; en si peu de jours le voilà ruine.
Certains s’excitent et tempêtent et gesticulent : on cherche un responsable tandis que des femmes poursuivent inlassablement la confection de colliers de fleurs – ne savent-elles rien ? Pourtant plus personne n’arrive ; elles chantent et rient , n’ont-elles jamais pris l’avion ?

Navigation

De l’endroit où je suis, il me semble que la terre elle-même commence à bouger. La chaleur m’assomme et au-dessus de l’eau, cette vapeur propre aux mirages se propage. Le cri est unanime : « La terre bouge ! ». Je pensais que c’était les nuages. Mais la terre avance, non, elle navigue à une vitesse à peine perceptible, à la vitesse d’un nuage exotique. Le paysage avance indéniablement sur la mer. Où va-t-il ?
On dit maintenant sans trembler que c’est l’Afrique sans drapeau qui a décidé, on dit que la terre aimante, à nouveau vénérée, attire à elle les bouts du monde, que l’île va rejoindre d’autres îles et qu’elles vont se ressouder. On dit encore que la navigation ne fait que commencer. Je me sens moins seule sur cette île. Il me semble que la terre se rapproche d’une autre terre et que la rumeur s’amplifie. Il me semble entendre des cris de joie venant des boutres revenues de par-delà la mer ; il me semble qu’une surprise nous y attend aussi lumineuse que le soleil qui envahit l’atmosphère, aussi puissante que le souffle du vent qui bat sur la colline. C’est un vent fort qui souffle en tous sens et qui n’est pas pressé de nous faire arriver : il évente et régénère ce que nous croyions perdu.