Salie

Salie
notre histoire
insultes
coups bas
de vexations en vexations
nous perdons notre trace
Je ne veux pourtant plus me voir
miroir de ton œil mâle
je ne veux plus exister
dans cette ornière
dans cette visière
qui m’englobe et m’enserre
et de père en père
je libère mon joug
ma joue
de tant d’étreintes
pourtant si affables et sincères
mais qui menace
ma femelle universelle
ma lionne carnassière
mon étoile légendaire
ma nuit, ma lune et ma voix entières
car je désire rester penchée là
à la fenêtre de mon mystère.

Le vaisseau tonnerre

Nous attendons un signe favorable,
Nous attendons, inexorables
De cette transe délectable,
Inextinguible,
Que surgisse l’appétit bleu de la nuit,
Que se retourne le gant de nos jours incrédules.

Tonnerre d’espoirs !
De l’alcool,
Que s’ouvre les arcanes du ciel !
De l’encens,
Que s’élèvent les mânes d’un prophète !
De nos autels votifs,
Que chante la parole d’un dieu !
De nos imprécations,
Que se dresse le visage d’une parole !
De nos plantes puissantes,
Que se montre l’écrin du divin !
Des tambours,
Que cède la frontière invisible !
Des fétiches,
Que prenne vie l’icône !
De notre exubérance profane,
Que se répande le règne sacré !

Apparition des terminaisons de l’esprit aux longs doigts verts, agis !

Aux préaux du ciel,
Transmets la magie de nos attentions,
Dis que nous savons qu’il existe,
Dis que nous attendons, toujours plus affables, ses signes,
Dis que nous cherchons, aveugles, sans trouver,
Fais-toi l’interprète de nos questions.

Qu’il tonne !
Nous comprendrons !
Qu’il pleuve !
Nous essuierons !
Qu’il vente !
Nous tiendrons !

Dis encore que nous sommes dans l’erreur et prêts à nous mettre à genoux,
Raconte les mythes auxquels nous croyions, pour qu’il sache qu’il est encore debout parmi nous,
Dis que nous laissons toute puissance sur la terre de notre ignorance,
Dis encore que nos vies suintent d’incertitudes et que nous patientons.

Qu’il noie nos totems !
Nous exhumerons !
Qu’il anéantisse notre savoir !
Nous demeurerons !
Qu’il défigure nos terres !
Nous reconstruirons !

Confie lui enfin, apparition, que nous craignons d’être seuls et emporte avec toi dans ce ciel bleu la trace entière de nos intentions.

Alba

Plus que blanche
Et trop lascive
Je m’évertue
Et me tue
à être mortelle

En équilibre
Et prête au vol

Plonger dans l’indifférence noble

J’esquisse un sourire
de mue
Étrangement limpide
Face au vide.

Loneliness

Indiscernablement elle-moi
dans le confin d’un rêve
à la recherche du maître de l’oubli
Indiscernablement elle-moi
la parure d’un autre moi
me plie et me déploie
Indiscernablement elle-moi
l’urne nocturne de ma solitude.

La fabrique de l’homme

Tu dévores l’homme, pauvre bête de somme
qui n’a de cesse de ne pouvoir lutter
pour la survie de sa pensée

Tu endors et débordes le désir de l’homme
sous le masque fatigué du confort

Tu t’empares des symboles
t’en pares en farandoles
pour métamorphoser en slogans
nos moindres paroles

La poésie dans nos cols rentrée
tu marques,
signe de ta propriété
la moindre identité
jusqu’à la dénuder
de son altérité
et exacerbes le singulier
de particulier à particulier

Tu vends ta spiritualité
comme un objet encadré
– même l’intime déprime
devient brainstorming
pour un idéal marketing
de la marque d’un jogging –

Tu ravis à l’art son inutilité
Et sublimes l’image comme seul mode de pensée

Tu oxydes notre soif de sacré en avidité
et déconstruis nos rites en faits de société

Tu violes les discours les plus subversifs
pour en faire le signe de la conformité
Tu ériges en modèle la normalité
et taylorises l’originalité
car pour toi l’homme n’est qu’une statue
qui ne pense qu’à parer sa ductilité

Fausse fée Morgane, tu t’ostentes en nécessité
mirant la papauté de la propriété
comme seul Bien digne d’être convoité

Serpent des âges premiers, tu séduis l’homme pour le faire sombrer dans le mythe de sa virilité
tu incarnes l’étalon de la Beauté et foules au pied le visage des minorités

Méphistophélès, tu enlèves ses rides à l’humanité pour flatter son ivresse d’immortalité
évacuant la mémoire des sophistes passés

Tu occupes la superficie de la réflexivité
et laisses peu de place à l’oisiveté
et t’insinues dans les ténèbres de la pensée
jusqu’à supplanter toute autre forme d’autorité

Et sous le décor pâle de l’éternelle jeunesse
Tu rejoues sans cesse la même scène sulfureuse et mordorée
Tu es le fruit jamais rêvé à la bouche de Tantale,
Fruit jamais goûté d’un éternel condamné

Piège de cristal, je t’ai nommée PUBLICITÉ.

Tu ne reconnais pas

Tu ne reconnais pas
les contours de mon âme –
c’est que la grande eau
a tout bousculé

Elle a évincé l’absence
l’ennui et le temps

Elle a fécondé ma lèvre
mes viscères

Et cette eau
en passant
fait que je ne t’appartiens plus

Regarde moi
Autrement
Regarde cette eau répandue
Comme un bienfait pour l’avenir
Regarde cette eau entière
enfin réunie
couler à tes pieds
sans que tu puisses la saisir

Accepte ce rêve
d’être oublié
dans l’amour
d’être nu
dans l’absence
perdu dans le désir

Je reviens
charnelle
charnue
de l’énormité de mon sexe
ouvert à cette eau
dans une saison de la terre
une vie, peut-être.

Avant toi

Avant toi,
le temps gisait à profusion
et je ne maugréais pas.

Avant toi,
je n’avais pas peur de la mer
ni de l’orage
ni du froid
ni du vent qui cogne contre la montagne
et je ne distinguais pas le message des lunes.

Avant toi,
mon corps était seule
et l’amour était flamme, tempête et vague.

Avant toi,
les scarabées et le nombre de leurs pattes m’importait peu.

Avant toi,
je ne savais pas être là,
construire inlassablement des barrages
répéter des couleurs, chanter des noms de fleurs.

La responsabilité ? Je n’en avais pas.
La fatigue ? Je ne la connaissais pas.
Je dormais repliée sur ma peur,
elle ne cernait que moi.
Je ne savais pas la violence
Je méconnaissais mon histoire
Grâce à toi, je prends souvent l’enfant que j’étais dans mes bras.

Avant toi, je pensais pouvoir dire et saisir
Et me voilà dans l’océan de l’innommable
Avec mes doutes qui gesticulent en moi
Construire et sans cesse tout remettre à plat
Et entre temps cuisiner de bons petits plats
Vertige de douceur
Amertume et joie
Je vois bien que la terre n’est ronde
qu’à travers toi.

Enclos chaud de l’île

Enclos chaud de l’île
Je redeviens
Celle qui coule
De lunaison en lunaison
Cette femelle est notre élément
Ma fille

Femmes en lunes d’eau
à dos de lunes
qui grossit ses plis

Toujours en nous
L’astre emplit

Tends l’oreille et écarquille l’iris
Nous appartenons à ce cycle
De mères en filles.