Ils ont planté une maison
et deux arbres pour faire de l’ombre
j’imagine
cela suffit pour se mettre à l’abri du monde
– et moi qui ne sais toujours pas nicher.
Catégorie : S’envisager
De grenouille
De grenouille
j’ai réussi à devenir boeuf
sans éclater
pour donner naissance à deux titans
qui grignotent mon chronos
mon cosmos
et la tige de notre éros.
Je ne suis
Je ne suis qu’une toute petite lune
un satellite inoffensif
des grandes contrées
une périphérie
qui se mange en dessert
de ce monde infâme
et famélique.
Dans ma mémoire
Dans ma mémoire
coincée quelque part
une béance
un trou
une absence d’histoire
un secret peut-être
une fantasmagorie ?
une ignominie ?
un vide inédit
autour duquel tout s’organise
et qui dessine l’arborescence
la généalogie
l’anatomie même
de toute une famille.
Avancée
Faire reculer l’hiver
des controverses avides
de vivant civilisé
qui n’auront servi qu’à nous déraciner
à faire de nous des intrants
sur une terre sévèrement cultivée
ecce homo
urbanisé
sécurisé
protégé des tempêtes de vent et d’altérité
assoiffé de sens et de spiritualité
qui découvre maintenant
après avoir tout abîmé
la magnificence
la magnifique science
des anciennes cosmogonies
plus sages
que sauvages
éradiquées des cartographies du sens
en constellations
brillent leurs absences
il nous faudra aimer
absolue nécessité
la mousse
le lichen
pour recouvrir
les laves de vanité
et célébrer le regain
d’une nouvelle génération
solidement solidaire
et solidement éclairée
de ses mémoires manquantes
pour édifier au mystère
la stèle de son unité.
Ève
Ève, ma curieuse aînée
tu n’as pas pêché
ouvertes sont les portes du jardin
tu étais faite pour t’émanciper
de l’aveuglement de la merveille
du regard omnipotent du Père
– encore le goût du fruit savoureux sur mes lèvres.
Mineure
Je suis une excroissance
un surplus de temps perdu
quand les langues de bois
se font sourdes
à la sensibilité
mes émotions suintent
à travers mes cellules
et si je dois me taire
quand je parle
mon corps gonfle de rouges barrages
à vos discours
injustes et affolants
mains fébriles
mots hérissés
veines battantes
devant tant de verve arrogante
qui assène le consensus de l’Évidence
on essaie toujours de me ramener
de me rallier
à l’universelle voie dominante
je devrais faire parler ma bouche autrement
la convaincre du bien-fondé de vos arguments
m’assoupir en bienveillance
délaisser mes emportements
qui ne sont que la marque
d’une féminine sensiblerie prohibée
en toutes circonstances et depuis longtemps
ma place n’est pas là
ils s’écoutent et moi j’entends
ma minorité
je suis toujours cela
une voix isolée
qui croit toujours à autre chose
et toujours autrement
qui échappe à vos lois de sûreté et d’enfermement
on m’assimilera dans le discours ambiant
si je lève le doigt gentiment
si je baisse le volume des mots
ou si je concède à être l’idiote
qui confirme la règle
j’élève ma voix
mains sur les hanches
d’une part d’humanité
que l’on tolère
– fourbe déguisement-
mais que l’on ne considère
et que l’on méprise
sincèrement.
Allophone
Combat de nains, contre des géants
et au milieu des enfants
je ne pensais pas que j’aurais à me battre si tôt
à mots nus
et dans ma propre maison
la porte de la famille, de l’école, du monde
leur intrusion
nouvelle colonisation de l’intime
l’invasion des télécommunications
je ne pensais pas
que l’emoticon pourrait remplacer
les mots confus et abscons
que le panopticon s’inviterait dans mon salon
alléguant
ô subtile contradiction
l’émancipation
qui me renvoie à l’image sans écran
de ma génération.
Qu’ai-je à vendre contre ce fléau ?
L’histoire de Faust
un esprit critique
des mots
un tournevis pour décortiquer la chose
paraissent bien peu de flambeaux
quand on pense pouvoir vivre
toutes les fictions
que propose l’adorable démon
– à celui-là j’opposerai toujours
la riposte dérisoire mais inflexible
d’une âme intègre
paramétrée pleine de défauts.
…
Nous arrivons à ces pages blanches
qu’il faudra bien écrire
dans l’angoisse excitante de l’avenir
à chacun de nous le destin
d’y vivre.
Approcher
L’île abonde de l’opulence de ton corps
dans tes cheveux, la touffeur de la brousse
et dans les miens la rousseur de la mer du Nord
Nous sommes-nous rencontrées ?
Toi dans ta maison
moi dans les allées
J’ai essayé de pénétrer les couloirs de l’intimité
mais
ma couleur
la tienne
le souvenir de la haine
la méfiance
la confluence de la tradition et de la modernité
nous ont ouvert quelques portes
et fait passer à côté
sans plus de haine
et beaucoup de curiosité.