Exotique

Exotique en mon jardin
il n’y a pas de meilleur lieu
pour repartir
que la terre
d’où je viens
– liane errante du lien.

Papier d’algue

Dans l’intimité des profondeurs
instruite des courants
qui emportent tout
et n’oublient rien
l’algue marine
dans son cocon d’eau oxygénique
cultive sa luminescence
appelle son arborescence
indifférente par nature
au passage du temps
– racine d’eau vivante.

Avancée

Faire reculer l’hiver
des controverses avides
de vivant civilisé
qui n’auront servi qu’à nous déraciner
à faire de nous des intrants
sur une terre sévèrement cultivée
ecce homo
urbanisé
sécurisé
protégé des tempêtes de vent et d’altérité
assoiffé de sens et de spiritualité
qui découvre maintenant
après avoir tout abîmé
la magnificence
la magnifique science
des anciennes cosmogonies
plus sages
que sauvages
éradiquées des cartographies du sens
en constellations
brillent leurs absences
il nous faudra aimer
absolue nécessité
la mousse
le lichen
pour recouvrir
les laves de vanité

et célébrer le regain
d’une nouvelle génération
solidement solidaire
et solidement éclairée
de ses mémoires manquantes
pour édifier au mystère
la stèle de son unité.

Ève

Ève, ma curieuse aînée
tu n’as pas pêché
ouvertes sont les portes du jardin
tu étais faite pour t’émanciper
de l’aveuglement de la merveille
du regard omnipotent du Père
– encore le goût du fruit savoureux sur mes lèvres.

Ma navigatrice

Ma navigatrice n’est plus compatible
avec le point GPS
qui m’assigne à être ici
mes pieds de sable fourmillent sur la rive
l’horizon décroche
le soutien-gorge des injonctions
laisse-toi embrasser d’ailleurs
aime ta créole
détache ses cheveux
laisse couler sa veine frisée
en traversées
ton squelette de souvenirs a besoin de migrer
corps étranger
mu par l’exsudat du rêve.

Mineure

Je suis une excroissance
un surplus de temps perdu
quand les langues de bois
se font sourdes
à la sensibilité
mes émotions suintent
à travers mes cellules
et si je dois me taire
quand je parle
mon corps gonfle de rouges barrages
à vos discours
injustes et affolants
mains fébriles
mots hérissés
veines battantes
devant tant de verve arrogante
qui assène le consensus de l’Évidence

on essaie toujours de me ramener
de me rallier
à l’universelle voie dominante
je devrais faire parler ma bouche autrement
la convaincre du bien-fondé de vos arguments
m’assoupir en bienveillance
délaisser mes emportements
qui ne sont que la marque
d’une féminine sensiblerie prohibée
en toutes circonstances et depuis longtemps

ma place n’est pas là
ils s’écoutent et moi j’entends
ma minorité
je suis toujours cela
une voix isolée
qui croit toujours à autre chose
et toujours autrement
qui échappe à vos lois de sûreté et d’enfermement

on m’assimilera dans le discours ambiant
si je lève le doigt gentiment
si je baisse le volume des mots
ou si je concède à être l’idiote
qui confirme la règle

j’élève ma voix
mains sur les hanches
d’une part d’humanité
que l’on tolère
– fourbe déguisement-
mais que l’on ne considère
et que l’on méprise
sincèrement.

Grand-mère

Yeux protubérants
nez tordu
bouche béante
front de rides majestueuses
tressé de cheveux de plumes
je suis le masque-sentinelle
d’un cortège de femmes
peintes de vos violences
aphones de vos atrocités
mes pieds font trembler les siècles
frémissez de respect
frayez le mystère
débandez
vos armes
vos sexes
mes cuisses en dansant
assèchent les outrages du sang

apaisez ma colère
d’offrandes
osez convoquer l’ancêtre

hérissez-vous d’amour

le feu du souffle premier
excise
du coeur
la cruauté.

Paysage

Depuis mes falaises
je vois venir de loin
vos vagues d’humeurs
s’échouer
sur ma fracassante torpeur
bordure de calcaire qui s’érode
mère veilleuse de ressacs
dans son roc composite
de roches abruptes
et d’argile qui s’effrite
– merveille du tumulte des âges.

Hommage à Anise

À lire tes derniers poèmes,
je voyais bien que ta mémoire rajeunissait
qu’elle avait déjà pris la contre-allée
des trous noirs de l’oubli
pour une nouvelle galaxie
lumière
d’avoir transmis de l’intérieur
cette extrémité poreuse de la vie.