Mineure

Je suis une excroissance
un surplus de temps perdu
quand les langues de bois
se font sourdes
à la sensibilité
mes émotions suintent
à travers mes cellules
et si je dois me taire
quand je parle
mon corps gonfle de rouges barrages
à vos discours
injustes et affolants
mains fébriles
mots hérissés
veines battantes
devant tant de verve arrogante
qui assène le consensus de l’Évidence

on essaie toujours de me ramener
de me rallier
à l’universelle voie dominante
je devrais faire parler ma bouche autrement
la convaincre du bien-fondé de vos arguments
m’assoupir en bienveillance
délaisser mes emportements
qui ne sont que la marque
d’une féminine sensiblerie prohibée
en toutes circonstances et depuis longtemps

ma place n’est pas là
ils s’écoutent et moi j’entends
ma minorité
je suis toujours cela
une voix isolée
qui croit toujours à autre chose
et toujours autrement
qui échappe à vos lois de sûreté et d’enfermement

on m’assimilera dans le discours ambiant
si je lève le doigt gentiment
si je baisse le volume des mots
ou si je concède à être l’idiote
qui confirme la règle

j’élève ma voix
mains sur les hanches
d’une part d’humanité
que l’on tolère
– fourbe déguisement-
mais que l’on ne considère
et que l’on méprise
sincèrement.

Publié dans la revue Nouveaux délits (n°77) janvier 2024